samedi 20 juillet 2013

Réinjection culturelle, ce grand Larsen qui nous paralyse... un projet de restauration de notre créativité


De l'art du silence...
pour apprécier les sons et relancer la créativité .
Henri Heuzé – juin 2013


Résumé

Lorsque nous tournons le bouton du poste de radio ou de télévision, nous avons l'impression de souvent, si ce n'est toujours, voir et entendre la même chose. Lorsque nous « surfons » sur le Net, nous pouvons ressentir l'impression de tourner en boucle sur les mêmes œuvres.

Les reprises des anciens succès musicaux et cinématographiques sont légions et nombreux sommes nous à nous réfugier dans nos passés plus ou moins récents. Cela a pour conséquence d'annihiler nos capacités de réflexion, de travail et de création.

Nous prétendons, que cela à voir avec notre rapport au son et aux moyens modernes de reproduction et de diffusion qui habitent nos maisons, nos villes et nos voitures et nous proposons une méthode appelant à la responsabilité individuelle qui pourrait changer notre paysage audiovisuel et nous redonner voix au chapître.


Haut parleur et ouïe

Les inventions du haut-parleur et des moyens de reproduction sonore mécaniques, puis électroniques, ont transformé notre rapport à la musique en particulier et aux sons général.

Après un demi-siècle de mises au point, ces outils ont largement été utilisés comme outils de propagande politique dès la démocratisation de la TSF1 dans les années 1930, ils ont, après la seconde guerre mondiale fait l'objet de perfectionnements et de déploiements massifs pour porter au plus près de nos oreilles, la voix, la musique et les sons en tout genre.

Le haut-parleur en particulier s'est fondu dans notre environnement et la plupart du temps bien dissimulé : cachez donc cette membrane que je ne saurai voir.

Lorsqu'il fonctionne, le haut-parleur sollicite l'ouïe, ce sens en fonctionnement permanent même durant le sommeil. L'oreille sert non seulement à entendre, mais également à se repérer dans l'espace, à garder l'équilibre et alerter l'organisme de tout danger.

Le bruit

La multiplication des haut-parleurs et des contenus audio induisent que notre ouïe est constamment stimulée par des variations de pression de l'air si nous n'y prêtons pas attention. Au delà de la fatigue physique de l'oreille, laquelle peut se traduire par le phénomène des acouphènes, notre mémoire auditive se charge de tout ces stimuli et les conserve. Le système d'alerte associé à l'oreille s'émousse également. Nous passons sur les méfaits de l'écoute à haut volume qui détruit irrémédiablement les cils nerveux qui recouvrent la cochlée2, constituant principal de notre oreille interne.

Cette accumulation forme un bruit permanent handicapant principalement notre capacité à réagir en cas de danger, à mémoriser, à classer les sons en temps normal.

Nos capacités de création se trouvent en général annihilées, car notre cerveau n'a plus le désir de l'écoute, encore moins celui de la création.
Telle est la conséquence du bruit permanent : grosse fatigue.

L’assèchement de la création et le feed-back culturel

A l'échelle d'une société, c'est la création culturelle qui se trouve impactée.

De plus, comme notre société dispose désormais de la technologie pour reproduire les sons, les producteurs et réalisateurs n'hésitent pas à en user et abuser pour remplir les grilles de programme car le coût de la création devient prohibitif par rapport à celui de la reproduction ou de la reprise.

Ainsi, les reprises, les remakes, reboots et adaptations constituent une part de plus en plus importante de la production artistique au détriment des créations originales.

Il s'installe alors ce que j'appelle un effet de réinjection (feed-back) culturelle qui occupe tout l'espace social disponible : un véritable effet Larsen.

En sonorisation, lorsque ce phénomène survient, le sonorisateur s'ingénie à le supprimer en déplaçant le récepteur, en général un micro, de manière à ce qu'il ne soit plus dans le champ de diffusion du haut-parleur, ou en amputant par filtrage le signal de la fréquence d'accrochage.

L'incapacité du modèle à se réformer

Dans le domaine culturel, aucun filtrage, aucune remise en place : le modèle social ne le permet pas. Ce serait dispendieux et suspecté de censure. Alors les média s'emballent : les chaînes de télévision et de radio s'accumulent pour accompagner l'augmentation quantitative des productions, alors que les auditeurs et les téléspectateurs insatisfaits zappent de contenu en contenu tels des «rois Arthur » en quête du Graal de la satisfaction culturelle.

Or, chacun de nous a le moyen de changer cela en adoptant un comportement différent vis à vis des sons.

Ce processus va nous permettre de reprendre le contrôle de notre oreille, avec la conséquence que cela aura sur nos dynamisme, équilibre et créativité à titre personnel et sur notre culture au niveau social.

Le silence, début d'une restauration

Comme toute restauration, il faut commencer humblement, mais avec détermination. Il s'agit d'installer le silence récupérateur dans nos vies. Concrètement, cela revient à ne par allumer radio, télévision ou lecteur MP3 pour remplir le vide sonore apparent. Cela peut se faire progressivement car au début le silence peut être générateur d'angoisse : nous nous entendons nous même. Il nous faut réapprendre à écouter notre voix intérieure, à goûter ce silence qui n'a pas de langage et à l'apprivoiser.

Laisser naître le désir de l'écoute

Une fois cette période de sevrage passée, il est bon d'écouter les bruits environnants : la ville, les transports, les gens, les animaux, le vent dans les arbres, etc.

Chaque bruit peut être contemplé pour ce qu'il est : un objet sonore porté par les variations de pression de l'air à notre conscience par le truchement complexe de l'ouïe.

Cette phase est délicate, car il s'agit d'apprendre à se contenter de peu et la tentation est grande de remplir à nouveau l'espace disponible ainsi créé avec tout ce que nous pouvons mettre à disposition de notre oreille.

Estimer l'exceptionnelle dignité de chaque son

Mais ces bruits deviendront peu à peu familiers, comme des compagnons de notre quotidien qui parlent de notre environnement. Ces bruits ne sont pas nocifs car ils sont contextualisés et à moins d'être excessivement permanents, tel l'autoroute, ou puissant, tel l'aéroport, ils font partie de la vie.

Notre vie sonore devient alors un théâtre sur lequel les voix de nos congénères, les musiques et les sons inouïs ou inhabituels viennent nous dire quelque chose.

Nous apprenons alors à goûter l'exceptionnelle dignité de chaque son. Notre culture sonore et musicale renaît par cette simple mais exigeante ascèse acoustique.

L'humain comme auditeur et acteur de son art sonore

Ainsi, d'auditeur abruti, incapable de se soustraire à sa dose de bruits et de juguler la réinjection culturelle, l'être humain devient un auditeur libre, exigeant et curieux.

Il peut ainsi découvrir l'importance du rythme dans la parole, la surprenante complexité du chant des oiseaux, la personnalité des moteurs automobiles, la suavité du bruissement des feuilles, etc.

L'auditeur restauré devient le sonorisateur de sa vie : lors de la survenance d'un larsen, s'il se déplace, il en supprime la cause et redécouvre le plaisir de l'écoute.

Dès quelques milliers d'auditeurs, la loi des grands nombres faisant son œuvre, cela a un impact direct sur les statistiques de consommation et induit un révision des grilles de programmation. Une crise s'installe et induit mécaniquement la réduction du bruit et le taux de réinjection culturelle.

Dans le même temps, parmi les auditeurs « restaurés », outre la satisfaction personnelle d'avoir repris le contrôle de leur environnement sonore, certains voient leur créativité les chatouiller et créent de nouveau. Un rapport à la création artistique réapparaît, fondé sur la contemplation et le désir de communiquer.

Pour aller plus loin :

Quelques usages des haut-parleurs et leurs conséquences :

Propagande :
Au Vietnam, la lente agonie des haut-parleurs (http://www.youtube.com/watch?v=yWtXpLCUw2w), AFP

Séoul rallume ses haut-parleurs (https://www.youtube.com/watch?v=81aRjwAc45A), Euronews (Français)

Les muezzins de la mosquée Zitouna remplacés par des haut-parleurs (http://www.tuniscope.com/index.php/article/23263/actualites/tunisie/muezzin-274309#.Uc7oEsXR5sc), Action citoyenne pour la Médina, TuniScope

Publicité :
Une mamie s'énerve et coupe le son (http://www.sudouest.fr/2011/12/22/une-mamie-s-enerve-et-coupe-le-son-587595-1504.php), Benoît Martin, Sud Ouest

Abrutissement :
           Concours de tuning automobile  http://www.youtube.com/watch?v=_sHXeuCyuaw


Quelques exemples de réinjection culturelle :

A la télévision :
"Les enfants de la télé"
"Touche pas à mon poste"
Les émissions du type « les 100 meilleurs »
Les émissions du type « The Voice », « Star Acacemy », « Nouvelle Star »

A la radio :
Les rediffusions en boucle des « tubes » depuis 50 ans
Les reprises et réadaptations : France Gall par Jennifer, Génération Goldman, etc...

Au cinéma :
Man of steel : reboot de la trilogie « Superman ». A lire l'article suivant : http://chemindebenoit.blogspot.fr/2013/07/superman-desenchante.html

Conséquences de la fatigue acoustique et de la surdité : Troubles de l'audition: Briser le silence – 14 mars 2013 http://webcast.in2p3.fr/videos-surdite

Bibliographie :

Attali Jacques, Bruits,, 1977, PUF/Fayard
Orwell Georges, 1984, 1972, Gallimard
Rossi Mario, Électroacoustique, 1986, Dunod
Schaeffer Pierre,Traité des objets musicaux, 1966, Seuil
Schaeffer Pierre, La musique concrète, 1967, PUF/Que Sais-je

Webographie :



Marie Formarier, « Rythme, plaisir de l’écoute et conversion chez Augustin », Rhuthmos, 20 septembre 2012 [en ligne]. http://rhuthmos.eu/spip.php?article721


1TSF : Transmission Sans Fil - préfiguration de la radiophonie.

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